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Drones : la nouvelle menace


Quatre jours après l’attaque contre les sites pétrolifères d’Abqaiq et de Khurais, les Saoudiens exposent les fragments de drones et de missiles retrouvés dans les décombres.

En Arabie saoudite, ils ont interrompu la moitié de la production pétrolière. Dans tous les conflits, c’est une arme redoutable.

Au sol, c’est la stupéfaction. Les radars ultramodernes n’ont rien vu. Les batteries antiaériennes américaines Patriot sont restées silencieuses.

Et les 65 milliards de dollars investis en 2018 par l’Arabie saoudite pour se prémunir d’attaques venues du ciel n’ont servi à rien. Une fumée noire s’élève au-dessus des raffineries d’Abqaiq et Khurais, au sud-ouest de Dhahran, dans l’est de l’Arabie saoudite.

Une simple attaque de drones et de missiles de croisière a fait vaciller un géant pétrolier, Aramco, obligé de réduire temporairement de moitié sa production d’or noir.

Dans un communiqué, les houthis, faction yéménite soutenue politiquement par l’Iran, grand rival régional de Riyad, ont revendiqué l’opération, très probablement appuyée par Téhéran.

C’est leur troisième attaque en cinq mois. Le 17 août, un essaim de dix drones s’abattait contre le champ de Shaybah, dans l’est du pays, ne provoquant qu’un incendie limité.

Parfaitement coordonnée, l’attaque du 14 septembre, elle, laissera des traces. Selon l’enquête express diligentée par l’Arabie saoudite, confirmée par des experts interviewés par Paris Match, elle serait venue du Nord, une zone au sud de l’Irak à majorité chiite, et aurait impliqué entre 10 et 25 appareils, des drones Qasef-K2 à aile delta, des missiles Ya-Ali. Une chose est sûre : pour la première fois dans l’Histoire, des drones ont fait trembler le monde.

"Une cohorte d’une dizaine de drones se commande avec une facilité déconcertante"

Ces engins qui servent à livrer des colis ou à surveiller les plages ont déjà défrayé la chronique.

En août 2018, en plein discours à Caracas, le président vénézuélien Nicolas Maduro est, semble-t-il, victime d’une tentative d’assassinat à l’aide d’un drone chargé d’explosifs. Les drones peuvent aussi se faire kamikazes : s’autodétruire en explosant ou percuter leur cible à la manière d’un missile.

En janvier 2019, lors d’une parade militaire, six officiers de l’armée loyaliste yéménite sont ainsi tués par une « mission suicide ».

Le même mois est aussi celui de la première attaque en « escadrille » : deux bases russes en Syrie, à Hmeymim et Tartous, en sont les cibles. Devant la complexité de la scène, la Russie suspecte alors l’Occident. « Ce n’était pas exact, commente Stéphane Chatton, qui a longtemps travaillé dans la sécurité en Irak. Contrairement à ce qu’on peut imaginer, une cohorte d’une dizaine de drones se commande avec une facilité déconcertante. Il suffit de télécharger les bonnes lignes de code, voire le bon logiciel, en accès libre sur Internet. Puis deux pilotes suffisent ! »

A l’époque, seules les imaginations étaient frappées. Aujourd’hui, c’est le cœur de l’économie mondiale.

Dans les mains d’un soldat des Forces démocratiques syriennes, à Deir ez-Zor, un Phantom changé en lance-grenades par Daech.

Il est loin le temps des balbutiements et des premiers tours d’hélice. Il y a cinq ans, l’Etat islamique commence à réfléchir sérieusement à l’utilisation de ces engins sur le champ de bataille.

« Ils sont les premiers à utiliser des drones civils Phantom 3 ou 4 pour faire de l’observation », continue Stéphane Chatton.

Les terroristes comprennent très vite l’intérêt de ces machines créées pour filmer des lieux de vacances ou des exploits sportifs.

La qualité HD des vidéos est d’abord un outil pour « lire » le terrain.

Puis, peu à peu, les constructeurs perfectionnent l’autonomie des batteries ; le rayon d’action s’en trouve augmenté dans les zones de guerre.

« Aujourd’hui, en Ukraine, dans la région du Donbass, les drones sont utilisés pour régler les tirs d’artillerie, notamment indirects, quand les objectifs se trouvent derrière des immeubles », explique Stéphane Chatton.

Des volants de badminton comme ailettes pour ces grenades artisanales fabriquées par Daech, attachées au drone et larguées par un système électromagnétique.

En 2016, Daech franchit un nouveau pas.

Des drones civils remplaceront les armes aériennes qui lui manquent lors de la bataille de Mossoul. Les ingénieurs de l’organisation bricolent un système électromagnétique qui permet de larguer des charges de 40 millimètres moulées dans des empennages de roquette : entre 60 et 100 sont comptabilisées chaque jour pendant la bataille.

L’effet psychologique sur les troupes au sol est considérable.

On l’a vécu cette année encore à Baghouz, lors de la dernière bataille du « califat » : la menace est partout, jamais terrible, mais lancinante, pénible.

En témoigne, en octobre 2016, l’explosion à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, qui a blessé deux membres des forces spéciales françaises.

Cette fois, c’était un drone abandonné au sol. Il avait été piégé.

Parallèlement, l’Etat islamique utilise ces engins d’à peine quelques centaines d’euros pour guider les « voitures suicides » dans les dédales de Mossoul, tout en récupérant les vidéos très utiles à sa propagande. « Ce savoir-faire pourrait aujourd’hui menacer l’Europe.

Tous les services s’en inquiètent », poursuit Stéphane Chatton.

Ciblé par un avion de chasse F15 saoudien, ce Qasef commandé par les rebelles houthis peut voler à 3 000 mètres d’altitude.

Le Moyen-Orient s’enflamme sous des essaims de drones militaires ou de simples drones civils bricolés, la Turquie produit ses propres machines pour opérer notamment contre les forces kurdes, la bande sahélienne est survolée chaque jour par les monstres américains Reaper qui, à 10 000 mètres d’altitude, poursuivent les islamistes.

Et l’Europe essaie de s’adapter à un danger de plus en plus précis. « On en est au même niveau qu’en 2000, lorsqu’on tentait de lutter contre le piratage informatique », affirme Stéphane Chatton. Selon un grand nombre d’observateurs, la question n’est plus de savoir si une attaque aura lieu, mais où et quand elle aura lieu.

Dans le cadre des guerres asymétriques, le drone est par essence l’arme du pauvre : il permet à des terroristes de provoquer des dégâts considérables avec très peu de moyens.

Un Rafale coûte 74 millions d’euros.

Un drone civil perfectionné, à peine quelques milliers. Déjà, en 2014, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) ne répertoriait pas moins de 79 survols malveillants de zones sensibles en France !

Quatorze en environnement urbain, 9 sur des sites militaires, 6 sur des complexes industriels, 1 à proximité d’un aéroport et 49 au-dessus d’installations nucléaires.

Un des engins avait même été repéré à la verticale du palais de l’Elysée !

Drone artisanal de Daech tombé à Mossoul et équipé d’un lance-grenades MK-19.

C’est alors que trois jeunes chercheurs créent CerbAir, aujourd’hui un des leaders du marché.

La start-up vient de remporter un contrat de lutte antidrone avec la Colombie.

En France, elle travaille en lien avec le ministère de l’Intérieur et le ministère des Armées, depuis qu’elle a conçu un système de détection qui permet de localiser à la fois le drone et le pilote. « Il s’agit d’écouter leur “conversation”. »

Beaucoup moins onéreux qu’un radar, ce système équipe désormais de nombreux endroits sensibles, stades, aéroports, sites pétrochimiques.

Une fois le drone malveillant détecté, reste à le neutraliser.

Les techniques ne manquent pas, mais aucune n’est parfaite : le fusil brouilleur est cher et ne fonctionne que si le drone est visible, les bulles de brouillage peuvent créer des interférences dangereuses dans les aéroports, et l’utilisation des rapaces a dû être abandonnée : les oiseaux se blessaient… ou n’attaquaient pas après leur repas.

Les drones intercepteurs avec filet de capture nécessitent d’excellents pilotes, le hacking est complexe à mettre en œuvre, les mini-missiles et les lasers sont également très chers.

Le champ pétrolifère de Khurais, vu d’un satellite européen. Les zones noires indiquent les impacts des missiles Quds et les incendies qui en ont résulté.

« Un des problèmes, pour les entreprises privées désireuses de se protéger, c’est qu’il n’y a aucun cadre légal qui leur permette de neutraliser un drone ; seul l’Etat a ce pouvoir », rappelle Thomas Gueudet, un ancien de l’Ecole de guerre économique qui a intégré CerbAir.

Il faut aussi être prêt à se défendre contre une attaque en saturation par un essaim de drones : « On peut déjà le faire en France », précise Thomas Gueudet.

L’Arabie saoudite avait-elle eu recours à ce type de technique avant le 14 septembre ?

Sans doute pas. Quoi qu’il en soit, attention à ne pas sombrer dans la panique en imaginant que le ciel va à chaque instant tomber sur la tête de l’Occident…

Et puis, on pourra toujours compter sur nos anges gardiens.

Lors du dernier G7 à Biarritz, CerbAir était positionné avec les membres du Raid sur les toits au cœur de la ville, prêt à intervenir contre des drones ennemis.

Cette publication a été adaptée par Cédric Giboulot pour les lecteurs de Centraledrones.com.

Le blog de Centraledrones est une sélection des meilleures articles concernant l'aérien, les sous marins, et les drones terrestres sur le web.

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